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ÉTATS GÉNÉRAUX

Les ÉTATS GÉNÉRAUX du développement se sont déroulés le 28 novembre 2016 à l’Assemblée nationale, et ont rassemblé 100 personnalités issues des Industries Culturelles et Créatives qui ont débattu et réfléchi collectivement aux besoins et défis du secteur.

3 objectifs :

1) Construire des stratégies durables au profit du développement pour la Création
2) Promouvoir la diversité de l’entrepreneuriat culturel
3) Fédérer autour d’une ambition politique culturelle renouvelée

Agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’Etat en sciences politiques, ancien ministre de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche, Luc Ferry témoigne sur le thème de « Innovation et art : où va la culture démocratique ? ».

Quel parallélisme entre philosophie et musique ?

Comment résoudre la question de l'innovation, à la fois avancée et déstabilisatrice, comment être artiste dans un monde qui va de plus en plus vite ?

Dans le triptyque politique-artistes-public, quels sont les nouveaux rapports de force et interactions ?

« Nous sommes entrés dans un monde où l’art la culture et la marchandise sont inséparables »

 

Nous disposons d’une définition de l’art univoque, de Platon à Heidegger : l’œuvre d’art quelle qu’elle soit, est toujours l’incarnation de grandes idées dans un matériaux sensible.

L’histoire de l’art est traversée de quatre grandes époques.

L’idée exprimée dans le monde Grec, dans les temples, la tragédie ou la mythologie grecque, est l’idée d’harmonie. L’idée d’harmonie domine tout. La mise en harmonie de soi avec l’harmonie du cosmos est primordiale.

La deuxième idée, dominera l’occident pendant des siècles : la représentation dans l’art, des splendeurs du divin.

Une troisième période se dessinera au XVIIe siècle avec l’art hollandais. Cet art va pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, représenter, non plus l’harmonie du cosmos, non plus les splendeurs du divin, mais la splendeur du petit humain anonyme. Vous et moi. Les fêtes de village. Les scènes de genre. Les décolletés de jeunes femmes qui servent de la bière ou du vin dans un cabaret. Scènes purement profanes.

C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’on à affaire à un art laïque. C’est la fin du théologico-esthétique. Dans le même temps, on invente la fin du théologico-politique. On sépare la loi des textes religieux. On fabrique la loi par des humains pour des humains. On fabrique l’art par des humains, pour des humains. On entre dans la modernité.

La quatrième époque est celle de l’art contemporain. Ce que l’économiste Schumpeter va appeler « l’art capitaliste ». Pourquoi art capitaliste ?

Le capitalisme est une société dans laquelle l’innovation tire la croissance économique. C’est l’innovation qui nous oblige à acheter, c’est elle qui tire la croissance. C’est la logique des smartphones, des voitures, des ordinateurs… Soit que l’innovation renvoie l’ancien à la poubelle, soit que le nouveau nous tente parce qu’il est plus performant que l’ancien.

La structure la plus profonde du capitalisme moderne, est la structure de la mode. La seule et unique finalité de la mode est de démoder.

Dans les sociétés traditionnelles, les sociétés de coutumes, dont la temporalité est orientée vers le respect du passé, la mode n’existe pas.

Le sari indien, le kimono japonais n’ont pas varié depuis des siècles voire des millénaires. À 2000 ans près, il est quasiment impossible de distinguer deux calligraphies chinoises. Le rôle de l’artiste n’est pas d’innover mais de transmettre la tradition à l’ensemble de la cité. De lui rendre visible les symboles religieux autour desquelles elle est organisée. Autrement dit, l’artiste ne doit pas inventer.

Avec la révolution française, nous basculons dans un monde ou l’avenir définit l’idée de progrès et où l’innovation devient la règle absolue.

Aussi bien dans l’art, que dans l’industrie. Nous entrons dans un monde de l’innovation permanente, où l’originalité devient un impératif pour l’artiste.

C’est l’apparition inédite au XVIIIe siècle des théories du génie.

Le génie est celui qui invente quelque chose d’absolument neuf, de totalement singulier. C’est un impératif absolu. L’imitation est interdite.

Dans les sociétés traditionnelles ont peut dire que le plagiat est la règle obligatoire. Dans les sociétés modernes il tombe sous le coup de la loi.

Voilà pourquoi nous allons trouver une homologie parfaite entre œuvre d’art et marchandise. Aujourd’hui dans l’art contemporain, lorsque Jeff Koons vend son « Dog Balloon » 54 millions de dollars, qui peut l’acheter ? Certainement pas le paysan ou l’ouvrier.

C’est François Pinault, C’est Bernard Arnault, ce sont les banques Suisses.

Le bohème et le bourgeois se sont réconciliés sous la figure tutélaire de l’innovation. C’est le phénomène majeur de toute l’histoire du XXe siècle.

Nous sommes entrés dans ce monde où l’art la culture et la marchandise sont inséparables.

On a en vérité 3 conceptions de la culture aujourd’hui, qui coexistent dans nos sociétés capitalistes :

  • Il y a le folklore, l’expression d’une particularité locale. D’une culture locale avec une histoire et une géographie particulières.
  • Il y a l’inverse absolu : l’universel. Le produit standard. Les séries américaines, la collection Harlequin, des produits culturels fabriqués à partir de la logique de l’audimat.
  • Les vraies œuvres d’art sont ce que les philosophe appellent « la singularité ». La rencontre de l’universel et du particulier. Les grandes œuvres ont à la fois une origine géographique et historique particulières, mais elles transforment le particulier en universel, elles s’adressent au monde entier. On va jouer Brahms ou Chopin aussi bien à Londres, qu’à New-York, Pékin ou Tokyo.

Aujourd’hui nous sommes en train de sortir de l’art contemporain. De la pure mise en scène de l’innovation, pour l’innovation. Cela se ressent particulièrement dans le domaine de la littérature où de grands écrivains tels Philip Roth ou Emmanuel Carrère écrivent de façon tout à fait contemporaine sans s’inscrire dans le Nouveau Roman.

Nous sommes sorti de l’avant-gardisme et je pense que c’est la voie d’avenir.

L’idée que parce qu’un écrivain a du succès et vend ses œuvres est vulgaire ou nul, est une idée fausse. Platon et Hegel étaient extrêmement connus, ils vendaient leurs livres, avaient un public. Il ne faut pas avoir peur d’avoir un public, nous rentrons à nouveau et c’est une bonne chose, dans l’idée qu’un artiste peut être à la fois génial et populaire.

L’idéal pour un artiste, c’est l’autonomie. Si vous faites une œuvre singulière, où l’universel rencontre le particulier, elle se vendra d’elle-même.

Si j’étais ministre de la Culture j’investirai dans l’enseignement, dans l’éducation, dans les conservatoires, dans tout ce qui permet aux jeunes d’accéder véritablement à la culture, parce qu’on ne peut pas devenir un créateur si on est coupé du passé.

Kandinsky était capable de peindre comme Monet ou Vermeer. Si on veut créer dans la beauté il faut avoir une profonde éducation

Saint Simon applique la notion d’avant-garde à l’art. Il dit que les artistes doivent montrer la voir à l’humanité. Les artistes nous disent le monde bien avant que le reste, y compris des élites politique, n’y arrive.

Qu’admire t-on dans la vie ? On admire des choses que l’on n’est pas capable de faire soi-même.

Il y a un rôle des élites. Ne les dégommons pas, arrêtons le populisme. »

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